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Monde Economique : Après 10 ans de secrétariat, vous avez décidé d’entamer des études de droit. Quel a été l’élément déclencheur d’une telle décision ?
Lucia COLACI : Je pense que l’élément central qui m’a motivée à changer mon orientation professionnelle a été l’ennui. Je m’explique, malgré tous les postes intéressants que j’ai occupés pendant toutes mes années d’activité en tant que secrétaire pour le département Italie-Espagne au sein d’une grande entreprise horlogère, assistante de direction pour une agence immobilière et enfin greffière dans un Tribunal, je ne me sentais pas assez nourrie. J’étais frustrée parce que je ne pouvais pas partager mes idées dans la prise de décision et m’impliquer un peu plus dans certains dossiers. En effet, mes compétences de l’époque me permettaient seulement d’être une exécutante. Je revenais du travail tous les jours démotivée et très fatiguée jusqu’au jour où mon conjoint, las de me voir ainsi, m’a incitée à me lancer dans des études universitaires pour acquérir un titre qui me permettrait de me légitimer et de prendre position. J’ai choisi le droit tout d’abord parce que j’avais besoin d’un outil qui me permette de valider les décisions que je souhaitais prendre de manière indépendante. J’ai probablement aussi choisi cette filière car je supporte très mal les injustices. Mes parents immigrés italiens sont issus d’un milieu ouvrier. Durant mon enfance, je me suis rendu compte que certaines personnes par manque de connaissances se faisaient facilement avoir. C’est ainsi que j’ai décidé de consacrer une partie de mon temps à la défense des plus démunis car eux aussi ont le droit d’être défendus même s’ils n’ont pas toujours les moyens de s’offrir les services d’un mandataire professionnel.
Monde Economique : Le canton de Neuchâtel a le taux de divortialité le plus élevé de Suisse. Comment expliquez-vous cela ?
Lucia COLACI : Nous vivons dans un canton où le taux de chômage est important, où le taux d’imposition fiscal est plus élevé pour des conjoints mariés sans enfants qui travaillent par rapport à un couple de concubins dans la même situation à revenu égal. Le canton de Neuchâtel est aussi un canton où l’on recourt le plus à l’aide sociale et où l’on se marie le moins. Pour sortir d’une telle impasse, il faudrait donner aux personnes qui souhaitent s’impliquer dans l’économie locale la possibilité de créer des entreprises. Or, malheureusement dans notre canton nous manquons d’incitations dans ce domaine. Dans ce contexte quelque peu morose comment peut-on encore croire qu’il est possible de construire un avenir lorsque le couple est confronté à des conditions de vie pas évidentes qui constituent le terrain privilégié des disputes, des reproches et parfois même de la violence. S’ajoute à cela une politique familiale défaillante, des structures d’accueil pour la petite enfance manquantes. Il n’existe par ailleurs aucun programme de réinsertion professionnelle ou de formation continue au profit des femmes désireuses de réintégrer la vie active après avoir eu des enfants. Tous ces éléments sont propres à créer des déséquilibres au sein des couples qui présentent déjà certaines fragilités. Il est certain que quand un ménage se sépare, certaines charges doublent. Il s’expose alors d’autant plus à des difficultés financières, ce qui ne favorise pas le dialogue. La précarité financière des ménages ne joue pas en faveur de leur pérennité chez nous.
Monde Économique : Vous êtes connue à Neuchâtel pour avoir une approche différente des problèmes de la famille. Est-ce la cause de votre succès ?
Lucia COLACI : Je pense avoir une approche différente en ce qui concerne la résolution des conflits liés à la famille parce que j’ai remarqué au fil de mon expérience professionnelle et personnelle qu’avant de traiter le problème juridique à proprement parler, il faut en premier lieu essayer de rétablir un dialogue constructif entre les parties prenantes. C’est le rétablissement du lien qui permettra aux parties en présence de reconnaître que l’autre personne a aussi été blessée et a besoin de reconnaissance.
En d’autres mots, il est important de reconnaître qu’il y a de la souffrance de part et d’autre. Aujourd’hui divorcée, après 27 ans de vie commune, mon ex-mari et moi-même entretenons d’excellents rapports amicaux. J’estime que nous avons ainsi réussi non seulement notre mariage mais également notre séparation.
Pour arriver à cela, nous avons tous les deux privilégié le dialogue et pris du recul en dissociant le factuel de l’émotionnel. Nous avons évité de prendre les choses personnellement et avons finalement reconnu que nous avions fait du mieux que nous pouvions tout au long de notre vie commune. J’essaie d’expliquer à mes clients, que le divorce est une étape de leur vie, il ne doit pas devenir un terrain miné où des questions de pouvoir, de principes et des enjeux financiers ternissent et anéantissent ce qu’ils ont construit avec confiance et amour. Lorsqu’on se donne la peine de prendre en considération ces éléments, la séparation peut se faire en douceur, le temps est là pour arrondir les angles. C’est dans un tel contexte que les enfants pourront envisager plus sereinement leur avenir sans devoir être confrontés en sus de la séparation à des conflits de loyauté parentale. C’est parce qu’une telle approche des choses n’est pas toujours évidente à concevoir que j’organise régulièrement des formations sur cette question.
Monde Économique : Le divorce est très souvent un épisode douloureux pour la femme. Est-ce à cause de son absence d’autonomie financière ?
Lucia COLACI : La religion et l’éducation nous ont inculqué que les relations sont nécessairement faites pour durer. Ainsi, la rupture réveille en nous de vieilles blessures telles que l’abandon, le rejet, l’humiliation. C’est cela qui fait mal, que l’on soit homme ou femme. Toutefois à l’heure actuelle, lors d’un divorce la garde est généralement attribuée à la femme ce qui engendrera une mise en veilleuse de la carrière professionnelle de cette dernière, surtout si les enfants sont encore petits. A côté de cela, se retrouvant seule à gérer son ménage, elle sera nécessairement confrontée à des responsabilités et des difficultés financières nouvelles. En effet, les moyens financiers à disposition, suite à la création de deux ménages, étant réduits, elle verra probablement son niveau de vie diminuer également. En plus, elle devra faire face dans certaines circonstances à des impayés au niveau des pensions alimentaires. En sus de cela, il y a lieu de prendre en considération le fait que notre canton n’a pas mis sur pied un système de garde et de solidarité pour les femmes leur permettant de se réinsérer facilement dans la vie active. Cet état de fait défavorise particulièrement les femmes qui ont opté pour un modèle traditionnel des tâches en restant à la maison pour s’occuper de leur famille. Une femme à la tête d’une famille monoparentale, peut cumuler une autre difficulté, celle de refaire sa vie. En effet, mis à part les sites de rencontres, à Neuchâtel, il manque des structures pour les personnes séparées ou divorcées désireuses de faire des rencontres sans engagement
autour d’un verre ou d’une piste de danse. Ceci dans la bonne humeur et le respect. Le manque de moyens financiers et le fait de ne pouvoir se projeter dans le futur avec un nouveau compagnon ou une nouvelle famille, ce sont là les nouveaux obstacles que devront surmonter seules, les femmes divorcées.
Monde Economique : Au cours de votre vie vous avez cumulé un statut de maman et de chef d’entreprise. Quel a été votre secret ?
Lucia COLACI : Je pense que ma vraie nature commandait à ce que je puisse manager à la fois une vie de mère, d’épouse et de cheffe d’entreprise. Je me suis écoutée et me suis alignée avec qui j’étais vraiment. Je rappelle toutefois que je n’ai pas trouvé tout de suite ma voie après la scolarité obligatoire et que j’ai commencé mes études de droit à l’âge de 30 ans. Pour faire face aux obligations financières que nous devions assumer avec mon époux à l’époque, j’ai dû travailler et à côté de cela m’occuper de ma famille. Cela m’a demandé certains sacrifices mais ma « petite voix » me disait que c’était juste ainsi. S’il est vrai que j’ai pris des initiatives pour donner une nouvelle tournure à mon destin, je peux remercier mon ex-mari qui a joué un rôle non négligeable de mentor et de sponsor financier. Mes parents et mes beaux-parents m’ont également soutenue en s’occupant, en alternance avec des jeunes filles au pair, de mes enfants pendant mes études. J’ai dû moi-même mettre en place une organisation qui m’a permis de me réaliser en tant que femme et mère de famille. Il est toutefois regrettable que notre canton ne puisse offrir cette possibilité à toutes les femmes voulant s’impliquer davantage dans leur vie professionnelle tout en assumant leur rôle de mère. Il s’agit là d’une question politique qui devrait être prise sérieusement en compte au nom du respect de l’égalité entre hommes et femmes. D’autre part, il y aurait lieu de tenir compte du fait que les femmes de par leur sensibilité, leur intuition et leur savoir-être possèdent des valeurs complémentaires à celles des hommes. Des valeurs qui à mon sens pourraient apporter un renouveau à notre système économique basé principalement sur la notion de profit.